2015-11 - La Pauvreté volontaire (Clément Lenoble)
"Ces dernières années, dans un contexte de crise économique, sociale, politique et écologique, le message franciscain semble réactivé dans une perspective critique par de nombreux auteurs appartenant à des milieux très différents les uns des autres. Depuis le XIIIe siècle, les théologiens et les juristes, la papauté puis les historiens ont donné de nombreuses interprétations à la signification sociale, juridique, économique et politique du choix de la pauvreté volontaire par les frères mineurs. En revanche, l’économie concrète des couvents, à commencer par les modes de gestion des frères, ont moins attiré les historiens alors qu’elle était au cœur des conflits entre l’ordre et le clergé séculier, des débats qui l’ont agité et l’ont opposé à la papauté. Même si, depuis une décennie environ, plusieurs enquêtes ont tenté de mieux saisir les pratiques économiques franciscaines, celles-ci sont rarement perçues à travers ses liens avec la vie économique et politique urbaine.
Pourquoi les frères ont-ils produit des registres de comptes ? Pourquoi et dans quelles conditions ont-ils commencé à percevoir des revenus réguliers ? Quels étaient leurs liens avec les familles qui gouvernaient les villes ? Autant de questions auxquelles on répond en général par l’argument de l’abandon de la Règle et de l’idéal de pauvreté. Nous verrons que d’autres facteurs entrent en ligne de compte et permettent de mieux saisir l’apostolat des frères et le mode de vie particulier qu’ils ont construit pendant les deux derniers siècles du Moyen Âge. Nous tenterons pour cela de croiser certaines de ces pratiques – mais aussi les réflexions théoriques qu’elles suscitent, les débats et même les luttes qu’elles nourrissent – avec les transformations politiques, économiques et sociales qui caractérisent les villes d’Europe méridionale à la fin du Moyen Âge. Nous concentrerons nos analyses sur quelques riches dossiers documentaires qui permettent, autour du cas limite de l’usus pauper et des modes de gestion qu’il implique, de mieux saisir les liens entre les mutations sociales, la rationalisation et les transformations des pratiques économiques des clercs et des laïcs, les formes de la vie religieuse, la nouveauté de certaines productions doctrinales et les tensions ou les combats qui en résultent."